“En sciences humaines et sociales, on trouve toujours quelques chose d’utile.”
11/07/2022
Sylvain Ferez dirige l’un des programmes de recherche en Sciences humaines et sociales financés par l’Association Grégory Lemarchal depuis 2016, pour faciliter le suivi de la scolarité et l’accès à l’emploi des patients. Il explique.
Votre projet de recherche s’intitule « Mesure de la Qualité des Environnements Scolaires et Professionnels dans lesquels évoluent les adolescents et jeunes adultes atteints de Mucoviscidose (MQESP – Muco) ». Pouvez-vous en expliquer le fondement ?
Nous partons de l’hypothèse que la participation sociale n’est pas une question de compétences ou de caractéristiques individuelles, mais qu’elle est le produit du rapport entre un individu et un environnement. Autrement dit, les environnements tels qu’ils existent facilitent l’accès des personnes vivant avec la mucoviscidose à l’école ou à l’emploi, ou au contraire produisent, souvent sans le savoir, des obstacles à la participation de ces personnes. Qu’est-ce qui fait, par exemple, que des adolescents ne peuvent poursuivre leur scolarité dans de bonnes conditions, parfois ne vont plus à l’école ? Ou pourquoi les jeunes adultes pensent devoir cacher leur maladie, etc. ?
Et comment évaluez-vous ces facteurs ?
Nous nous appuyons sur un modèle théorique de recherche canadien, le « Processus de production du handicap », qui se fonde sur le retour des personnes concernées elles-mêmes sur la qualité de l’environnement dans lequel elles évoluent. Dans cette perspective, le handicap n’est pas une caractéristique individuelle, mais une situation qui se produit quand un individu rencontre dans l’environnement un obstacle à sa participation sociale. Pour décrire le plus finement possible et avoir une connaissance très concrète des obstacles rencontrés et des facilitateurs, il est fondamental de partir du point de vue et de l’expérience des individus. Cela passe par une collecte de témoignages assez poussée. Le but du projet de recherche est de produire des propositions, sans doute sous forme de guide à destination des environnements scolaires et professionnels, pour les amener vers plus d’inclusion, dans leur organisation, la formation des enseignants, les discours en entreprises, etc.
Dans votre démarche, la mucoviscidose présente-t-elle des caractéristiques particulières ?
Oui, il est par exemple assez frappant de constater que les personnes atteintes de mucoviscidose ne considèrent pas la maladie comme un handicap, au sens identitaire du terme, et même n’aiment pas que cette identité puisse leur être prêtée. Elles sont plutôt dans un discours de résilience un peu plus fort que dans d’autres pathologies, ou de masquage, ou d’effacement de la maladie, ou de transformation de la maladie en force. Cela a des effets sur leur manière de la vivre, mais aussi beaucoup sur leur manière de la gérer socialement, de la dire ou de ne pas la dire. Cela nous oblige, dans notre recherche sur les obstacles ou les facilitateurs à la participation sociale, à dépasser un discours de façade où « tout va bien » et met en évidence la nécessité du volant qualitatif de l’étude.
Si l’on devait comparer, diriez-vous qu’il est plus facile de trouver ce que l’on cherche dans le domaine des Sciences humaines et sociales que quand on cherche un médicament ou un vaccin ?
L’efficace de nos outils n’est pas aussi incontestable que lorsque l’on trouve un vaccin par exemple. Nous visons davantage la compréhension d’un problème, l’intelligence d’une situation, en vue d’acquérir la capacité de mieux former les gens ou de mieux communiquer. En revanche, quand on cherche un vaccin, on trouve ou on ne trouve pas, il n’y a pas d’alternative. Dans notre domaine de recherche, nous sommes davantage garantis, quoi qu’il arrive, de trouver quelque chose qui sera utile à la compréhension du réel et, par des petits ajustements sociaux, à l’amélioration de la qualité de vie des personnes vivant avec la mucoviscidose.
- Sylvain Ferez, Maître de conférences-HDR, Directeur de l’équipe SANTESIH (EA 4614), Univ. Montpellier
- Laura Silvestri, Postdoctorante, SANTESIH (EA 4614), Univ. Montpellier
- Damien Issanchou, Maître de conférences, L‑VIS (EA 7428), Univ. Claude Bernard-Lyon 1